Inauguration de la Place Claude Erignac

Paris, le 6 février 2004

Bertrand Delanoë

Chère Madame Erignac,
Chers Christophine, Charles-Antoine,
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Monsieur le maire du XVIème arrondissement,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame et Messieurs les préfets,
Mesdames et Messieurs,

Le 6 février 1998, il y a six ans déjà, le préfet Claude Erignac était assassiné à Ajaccio.
Cet acte constitue une déchirure, un scandale au sens étymologique du terme, c’est-à-dire un « obstacle » dans l’histoire d’une société démocratique.
Il heurte la conscience humaine. Il est profondément, viscéralement, insupportable. Oui, ceux qui l’ont perpétré sont des adversaires de la civilisation.
Leur crime vient nous rappeler que la République est une richesse qui ne tolère ni faiblesse, ni compromission.

Car atteindre la République, c’est blesser chacune et chacun de nos concitoyens. La République rassemble. Elle est garante d’une diversité harmonieuse et féconde. Elle établit la puissance du droit au nom de la liberté et du progrès.
En se mettant au service de cet idéal, Claude Erignac avait fait le choix le plus noble et le plus exigeant qui soit.
C’est pour saluer la mémoire de ce grand serviteur de l’Etat, compétent, rigoureux, fidèle, que nous sommes réunis aujourd’hui.
C’est le fruit d’une volonté unanime du Conseil de Paris, sur la suggestion de Monsieur Galdin.
Honorer Claude Erignac, c’est évoquer d’abord la constance de son engagement. En effet, de sa nomination comme chef de cabinet du préfet de l’Yonne en 1964 à sa mission ultime, c’est avec le même sens aigu de l’honneur qu’il assumera toujours sa charge. De Nouméa à Roanne, de Nancy à Versailles, le juriste brillant, le gestionnaire attentif, est aussi un homme de dialogue.
Ces qualités rares lui valent d’être nommé en février 1996 préfet de la Région Corse et du département de la Corse du Sud.
Durant deux ans, il s’attache à nouer des relations en profondeur avec la réalité locale qu’il découvre. En effet, il choisit de s’intégrer pleinement à cet environnement complexe et fort de ses traditions séculaires. Avec finesse, il représente un Etat proche et à l’écoute des aspirations des habitants.

D’évidence, l’expérience acquise en Nouvelle Calédonie lui a livré des enseignements qu’il conserve présents à l’esprit lorsqu’il aborde l’Ile de beauté. Déjà, face au conflit Canaques-Caldoches, Claude Erignac a démontré cette volonté intangible de saisir la sensibilité d’une situation qui met en jeu des ingrédients culturels si singuliers.
Dans cette approche mêlant autorité et sens de l’équilibre, Claude Erignac s’emploie à comprendre la Corse, et bientôt à l’aimer.
Dans son cœur pourtant, nul endroit ne peut se substituer à ce que l’un de ses amis appelle son « Tibet mental » : la Lozère. Sa communion est intense avec le Causse, si âpre, si majestueux. Les courbes de la montagne, la beauté sauvage de ce lieu, sont pour lui un espace de plénitude, où le corps se repose, où l’esprit s’évade, porté par l’élégance austère de ce site.
Sans doute Claude Erignac puisait-il dans la richesse d’un tel environnement, l’énergie et la sérénité nécessaires à son action ?
Aujourd’hui, le lieu que nous inaugurons rend précisément hommage au grand serviteur de la République, mais au-delà à la profondeur de l’homme, à l’éclectisme de ses goûts, à la diversité de ses émotions. Ici, sur chacun de ces douze bancs, nous avons fait graver une des nombreuses citations inscrites par Claude Erignac dans son carnet de notes, au hasard de ses lectures, de ses périples, de ses découvertes.

Constellation improbable où se côtoient René Char et André Malraux, Woody Allen et Marivaux, Victor Hugo et Abraham Lincoln, Oscar Wilde et Goethe. Toutes ces maximes seront projetées la nuit sur la façade de l’immeuble voisin qui surplombe l’entrée de la place.
A travers cette configuration conçue en étroite synergie avec sa famille, c’est l’homme de culture qui transparaît.

Son attachement à des valeurs, son amour de l’Art, son rapport à la vie collective forgent un destin qui semble résumé par ces mots si puissants de Voltaire : « je combats ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».
A Madame Erignac, à Christophine, à Charles-Antoine, à tous ses proches je veux dire l’honneur que nous éprouvons à partager ce moment de souvenir, de reconnaissance et de fidélité.
Tel est le message que Paris voulait exprimer, six ans plus tard. Car cette alchimie fertile célèbre aussi une rencontre. Aujourd’hui, notre cité accueille dans sa mémoire le nom d’un homme libre : son cheminement, sa droiture et l’attention qu’il portait aux autres, lui valent désormais de côtoyer tous ces patronymes magnifiques qui forment le plus beau, le plus éternel, des cortèges humains.