Le sous-préfet au champ d’honneur

Claude Wolkowicz

Ami de Claude Erignac

 1981, élection de François Mitterrand. La France de gauche en rêvait depuis 25 ans. Une bonne partie des élites conservatrices excédée par la fin des années Giscard a voté pour ce « rad-soc » dont elle pense qu’il fera tout, sauf ce qu’il a promis ; elle déchante vite, alors que les partisans de la force tranquille voient leurs vœux un à un exaucés.

C’est dans ce contexte que l’on voit arriver à Roanne un nouveau « Commissaire-Adjoint de la République », dont d’aucuns pensent qu’il s’agit d’un alluvion de la vague rose ; pour d’autres, ce jeune haut-fonctionnaire très comme il faut, bronzé, sportif, à l’air si « convenable » avec sa jeune et belle épouse, ses charmants bambins et son labrador, ne peut-être que bien pensant (lire : de droite…) Chacun tente de le décrypter, de comprendre « où il penche », aucun n’y parvient.

Claude Erignac ne se livre pas, mais il agit. Il impose un style nouveau, insuffle une énergie à cette ville frappée par l’agonie des ARCT, le désastre économique du textile, à ce pays où il fait si bon vivre, mais où l’on se sent oublié, enclavé dans l’espace par l’absence de liaisons ferroviaires ou routières rapides, et dans le temps par des mentalités formatées au XIXème siècle.

J’ai très vite rencontré le Commissaire-Adjoint de la République « en situation » ; j’étais alors vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Roannais (CCIR) en charge de la Formation et à ce titre je participais à de nombreuses réunion avec les partenaires sociaux, un peu moins partenaires à l’époque qu’ils ne l’auraient dû. Je dois rendre hommage à l’impartialité de Claude Erignac, et à une absence de démagogie dont témoignait l’égale popularité dont il jouissait auprès de tous à l’issue des discussions. Il ne cherchait pas à être aimé –maniant quand il le fallait l’ironie ou la provocation- mais il savait séduire et nolens volens faisait avancer les dossiers qu’ il incitait les responsables économiques à constituer, avant de les appuyer au bon moment, au bon endroit, grâce à cet entregent qui fut sa marque. Il travaillait beaucoup et exigeait beaucoup.

Ses amitiés locales furent éclectiques et fortement liées aux sports qu’il pratiquait avec excellence (vélo, basket, tennis) ; tous étaient ses amis, mais lui seul sut de combien il fut l’ami…Il se livrait peu, et pourtant savait être proche et attentif aux autres, sans se départir d’une formidable lucidité. Je ne l’ai vu qu’une fois en difficulté, c’est quand nous avons réussi à faire couler un canoë dans un Tarn inhabituellement paisible ; après tout, l’eau n’est pas un élément familier à un natif du Causse … Pas rancunier, Claude devait, avant son départ, me remettre les Palmes Académiques.

Ses qualités furent vite reconnues par sa hiérarchie, et il obtint rapidement la promotion qu’il méritait ; c’est en Préfet du Gers qu’il quitta Roanne, au désespoir de ses nouveaux amis et des responsables économiques qui se lamentaient « de ne jamais en retrouver un comme celui-là ».